Nous avions déjà l’idée de cette recherche en mars 2020, pour deux raisons: la piste de l’interféron et les chauves-souris. D’un part, nous savions que l’hyper-inflammation pulmonaire est médiée par l’interféron de type 1 et que la voie de signalisation STING déclenche la production de cet interféron.
Lire aussi: Les lauréats du Prix Leenaards expliquent leur traque de l'origine des maladies auto-immunes
D’autre part, le gène STING a été inactivé au cours de l’évolution chez les chauves-souris. Nous associons cette caractéristique au fait que les chauves-souris ont développé un vol battant très énergétique. Durant ces périodes de vol, leur température peut monter jusqu’à 41°C, ce qui conduit à un stress cellulaire important et même à la mort cellulaire. Dotée de STING, les chauves-souris risquerait l’inflammation à chaque vol. Par ailleurs, la chauve-souris est un réservoir du Sars-CoV-2 et ne développe pas de maladie. Nous avons donc émis l’hypothèse que les deux étaient liés: que les chauves-souris ne développent pas de maladie liée au coronavirus parce qu’elles n’ont pas le STING.
C’est pour ces raisons que nous avons voulu comprendre si cette voie de signalisation pouvait être à l’origine de l’interféron qui déclenche l’hyper-inflammation dans la peau et les poumons chez l’humain.
Comment vous y êtes-vous pris pour vérifier cette hypothèse?
Nous avons étudié des lésions inflammatoires cutanées via des échantillons de patients Covid-19 hospitalisés et remarqué que ces lésions contenaient bel et bien des interférons de type 1 produit par des macrophages à la suite d’un signal STING. Nous avons ensuite répété l’opération avec des poumons de patients Covid-19 en post-mortem, grâce aux autopsies réalisées par nos collègues de la pathologie. Nous avons alors observé l’activation de cette voie de signalisation avec le même mécanisme qu’au niveau cutané.
Par la suite, nous avons modélisé ce mécanisme avec des modèles d’infections de peau in vitro, puis utilisé des modèles souris. Nous les avons infectées au Sars-CoV-2, puis traitées avec un inhibiteur de STING. Ça a marché: nous avons réussi à diminuer la gravité de la maladie chez ces souris.
Est-ce que cette voie de signalisation pourrait expliquer pourquoi certains patients sont plus malades que d’autres?
Ce n’est pas encore clair. Nous aimerions comprendre si les patients qui ont les poumons atteints peuvent avoir plus ou moins d’activation STING, à cause d’un polymorphisme génétique ou autre, et si cela peut influencer la gravité de la maladie.
Pourquoi comprendre un des mécanismes à l’origine des formes graves de Covid-19 est important? Après tout, c’est un mécanisme parmi d’autres…
C’est essentiel. Nous avons appris des autres maladies inflammatoires que si on bloque les voies de signalisations clé, il est possible d’empêcher le développement de la maladie. Je suis convaincu que si la voie de signalisation cGAS/STING est inhibée dans la phase tardive de l’infection, nous pourrions empêcher l’orage cytokinique et donc l’hyper-inflammation.
Actuellement, des anti-inflammatoires peuvent être utilisés, mais ils bloquent aussi bien l’immunité protectrice que l’immunité qui se retourne contre l’organisme. Inhiber STING permettrait peut-être d’éviter d’utiliser des immunosuppresseurs qui impactent toute la réponse antivirale.
En somme, vous ouvrez la voie vers un traitement plus précis et plus efficace du Covid-19?
Nous espérons. Des inhibiteurs de STING sont déjà en cours de développement dans des petites firmes, en partenariat avec des géants de l’industrie comme Bayer et Novartis. Conçus pour traiter des maladies génétiques rares, ces médicaments sont en phase pré-clinique. Nous espérons que nos travaux pousseront les fabricants à accélérer le développement.
De notre côté, nous allons continuer à travailler sur Covid-19 et cherchons des inhibiteurs de cette voie de signalisation dans le cadre de notre recherche Leenards, que nous poursuivons en parallèle.